Analyse exclusive - Entraîneur botoliste : le siège éjectable permanent ? - Elbotola

Quinze coachs ont déjà quitté leur poste en Botola depuis le début de la saison.

Analyse exclusive - Entraîneur botoliste : le siège éjectable permanent ?

O.S et D.L.D
20 avril 2023à 22:00

Sur les seize entraineurs qui officient aujourd'hui en Pro D1, aucun n’occupait déjà son poste il y a 18 mois. Et seuls deux d’entre eux sont arrivés avant l’été 2022. Après vingt-quatre journées de championnat douze des seize clubs pensionnaires de D1 ont changé de technicien en cours de saison. Un turnover démentiel et qui n’est pas nouveau ! Au Maroc entre 2013 et 2023 il y a eu en moyenne quinze départs de managers chaque année (pour seize équipes), contre huit départs par an en Premier League et en Bundesliga (qui comptent vingt et dix-huit équipes).

Emploi précaire dans le domaine du sport, le métier d’entraîneur est particulièrement instable dans le Royaume, et les bons résultats ne garantissent pas qu’un coach reste à son poste… El Botola s’est demandé pourquoi : mélange d’amateurisme et d’impatience ? forme de mimétisme dans la gouvernance des présidents de club ? Les coachs et les supporters sont-ils en partie responsables de cette situation ? A l’heure où la FRMF accumule les succès de prestige et où la stratégie de soft power du Maroc porte ses fruits, le niveau de la D1 interroge forcément, incarné par l’instabilité chronique sur ses bancs de touche.

A peine arrivé et déjà reparti

En Botola Pro D1 un entraineur n’a souvent pas le temps… Ni d’imposer sa philosophie, ni de constituer son équipe et encore moins de sacrifier une saison entière à construire… dans l’optique d’un succès sur le long-terme. Les résultats doivent être immédiats. Lors de la saison en cours, deux entraîneurs ont fait des passages éclairs sur le banc de touche : Mehdi et Faouzi Benzarti. Sidi Nafti a été remercié après 54 jours (cinq victoires, deux matchs nuls et une défaite). Quant à Sidi il est resté 73 jours, majoritairement lors de la pré-saison, avant de se faire claquer la porte au nez dès la troisième journée de championnat (deux nuls et une défaite). Quel point commun entre ces deux techniciens ? Au-delà de leur nationalité tunisienne, ils exerçaient chacun dans un des deux plus grands clubs du pays - au palmarès et pour le nombre de supporters : le Wydad et le Raja. Deux mastodontes et deux environnements de travail extrêmement exigeants où l’entraîneur passe de gourou à bouc-émissaire du jour au lendemain.

En prenant un peu de recul, on constate que sur les vingt dernières années deux coachs seulement sont restés deux saisons consécutives sur le banc des : Rachid Taoussi (2001-2003) et John Toshack (2014-2016). Même chanson du côté de la , puisqu’aucun coach n’a réussi à en faire autant depuis Oscar Fullone (1998-2000). Le constat est sans appel : les deux clubs casaouis baignent dans la culture de l’immédiat ! WAC et RCA ne sont pas des cas isolés : chez les FAR de Rabat il faut remonter à 2003 et à Alain Giresse pour retrouver un coach ayant enchainé deux saisons. Et à Berkane, depuis la montée en D1 en 2012 aucun coach n’a enchainé deux saisons à la tête de la RSB. Les contre-exemples sont rares mais ils existent : du côté du MAS par exemple, où Rachid Taoussi est resté de 2009-2012 avec à la clé un triplé historique en 2011 (Coupe du Trône, Coupe des Confédérations de la CAF et Supercoupe de la CAF). Mais c’est le FUS qui se démarque : depuis 2007 plusieurs entraîneurs y ont passé le cap des deux saisons : Houcine Ammouta (3 saisons) et sa victoire en coupe des Confédérations de la CAF, Jamal Sellami (3 saisons) et Walid Regragui (6 saisons) qui a ramené le premier titre en Botola.

Si la valse des entraineurs est réelle, quelles sont ses conséquences sur le niveau footballistique marocain ? Quand peu de clubs façonnent leur effectif sur le long-terme ou construisent une identité de jeu, faut-il en déduire que le modèle casaoui a fait école ? Ou existent-ils des facteurs plus profonds qui ont fait de l’instabilité une règle ? Des présidents pas toujours irréprochables, des coaches attirés par les pelouses plus vertes à l’étranger, et des supporters prompt à faire craquer les gradins… Si les managers ne restent pas longtemps en poste, les causes du phénomène semblent multiples.

Aux sources de la bougeotte

Impatience de la part des dirigeants de clubs ? Absence de vision sur le long terme ? C’est la tendance, un état d'esprit qui pousse certains dirigeants à tenter et retenter leur chance à chaque intersaison. Un choix risqué mais qui porte en lui la promesse sans cesse renouvelée de résultats rapides. A contre-courant, la FRMF s’emploie depuis des années à accompagner la transformation des clubs de l’élite, à commencer par leur statut de sociétés sportives et l’inscription obligatoire au registre du commerce (à partir de la saison 2022-2023). A terme, ce changement devrait progressivement instaurer un système de management et une structure économique qui favoriseront le développement des clubs de Botola Pro. Une approche juridique qui prouve bien la volonté de professionnaliser le football, mais interroge en filigrane sur la situation actuelle et certaines méthodes de gouvernance hors-sol.

En octobre 2022, le quotidien reportait que la dette totale des clubs de Botola Pro atteignait 173 millions de dirhams. Selon cet article, au Mouloudia d’Oujda certains salaires étaient impayés depuis quatre mois, et les retards sur la distribution des primes de match allaient jusqu’à deux ans ! Une situation loin d’être spécifique au club de l’Oriental et qu’on retrouve à des degrés variés chez une majorité des pensionnaires de D1. Autre cas de figure, les dirigeants de l’Olympique de Khouribga ont débuté leur mois de ramadan 2023 en apprenant que Ricardo et tout son staff technique avaient rompu leurs contrats. Une décision liée à des retards dans le paiement des salaires. Depuis, selon un communiqué de l’OCK le staff aurait été payé mais ne serait pas revenu pour autant… Il aurait ! L’entraîneur portugais s’est donc ajouté à l’insu de son plein gré à la liste des coaches partis. Si on ne connait pas tous les détails de cette histoire, il reste les faits : en grande difficulté cette saison, Khouribga allait mieux au printemps avec huit points engrangés sur leurs cinq derniers match. De quoi alimenter l’espoir de sauver la place du club en D1 et patatra… le staff technique part en claquant la porte.

Au-delà des questions de trésorerie et de transparence, le cas Formosinho pose également la question de l’attractivité de la Botola Maghribia. Car ce ne sont pas seulement les staffs non payés qui fuient le Royaume et parfois les départs des coaches sont voulus par ces derniers, qu’ils soient en quête de visibilité, de reconnaissance ou de confort financier. En 2020, après six ans de travail Walid avait quitté le FUS pour rejoindre Al-Duhail au Qatar, où l’attendait un salaire mensuel de 1.5 millions de dirhams (environ six fois le salaire qu’il touchait au FUS). Plus flagrant encore, l’exemple de Vandenbroeck : après avoir passé dix-huit mois avec les militaires, donné un nouveau visage à une équipe vieillissante et remporté un titre (Coupe du Trône 2022), à l’été 2022 le technicien belge avait tout plaqué pour rejoindre Abha dans le championnat saoudien.

Il existe - au moins - un troisième facteur d’instabilité : des supporters passionnés et parfois virulents. Dans un pays fier de ses Ultras, plusieurs coaches se sont vus forcés de quitter leur poste sous la pression des fans. Ainsi en 2021, trois mois après que Jamal ait mené le Raja vers son premier titre de champion en sept ans, les aficionados bidaouis étaient massivement sortis dans la rue - bravant le couvre-feu - pour exiger sa démission suite à une défaite (0-2) face au Wydad. Après un bras de fer de plusieurs semaines, Sidi Sellami avait quitté le club, et si son départ a été bénéfique pour le RCA selon certains, la pression populaire peut toutefois être instrumentalisée et n’est pas toujours constructive. En 2020, des protestations de la part des fans de la gazelle du Souss avaient poussé le club à se séparer de Mhamed Fakhir, mais en refusant toute séparation à l’amiable, ce dernier avait obtenu une indemnité de plus de 12 millions de dirhams… une somme qui a longtemps hanté les finances Soussi.

Dans un tel contexte où l’instabilité est devenue la norme, sans que cela n’empêche certains club de tirer leur épingle du jeu - le WAC domine le Maroc et l’Afrique - comment modifier en profondeur la gouvernance en Botola Pro ?

Des modèles d'inspiration ?

Une organisation de première division sort du lot côté gouvernance : le de Rabat (actuellement sur la troisième marche du podium). Depuis l’an 2000, cinq entraîneurs ont dépassé la barre des deux saisons consécutives. Encore plus fort : entre 2008 et 2020 trois coachs seulement se sont relayés sur le banc fussiste. Et à l’heure actuelle le même Jamal Sellami poussé vers la sortie au Raja vient de fêter ses 500 jours avec le club de la capitale (après un premier mandat de 2011 et 2014). En Botola le FUS est donc perçu comme un modèle de bonne gestion. Car outre l’argument de la longévité des entraineurs, en 2016, avec l’Ittihad de Tanger, le Fath était l’un des deux uniques clubs de l’élite à ne pas être endetté. Une stabilité financière non sans rapport avec l’arrivée en 2007 à la tête du club de Mounir Majidi, directeur du secrétariat particulier du roi Mohammed VI. En quelques saisons, le FUS est alors passé d’un club habitué aux va et vient entre D1 et D2 à une institution du football national, avec un titre en 2016. Hasard ou non ? Contrairement à la plupart de ses rivaux, les supporters du FUS sont notoirement peu nombreux. Absence de pression populaire et aisance financière… les ingrédients requis pour construire un environnement propice à l’épanouissement d’un joueur ou d’un entraîneur ? Le FUS ne doit pas son succès à une faible base de supporters, mais plutôt à un comité compétent prêt à investir dans l’instauration d'une véritable politique sportive à tous les niveaux. Le tout bien épaulé par des liens étroits avec le palais.

Et chez les voisins d'Afrique du nord ? Cette saison en Ligue des Champions les égyptiens d’Al-Ahly et les tanzaniens du Simba SC affronteront le Raja et le Wydad, tandis qu’en Coupe des Confédérations le jaych fera face à l’Union Sportive de la Médina d’Alger (USMA). Si Egypte et Algérie sont les rivaux des clubs marocains au niveau continental, qu’en est-il de leur championnat national en termes de gouvernance et de stabilité ? Actuel sixième de Ligue Professionnelle Algérienne (avec des matchs en retard), l’USMA a changé de coach le 25 décembre dernier. Et le club d’Alger n’est pas connu pour sa patience puisque aucun de ses treize derniers entraineurs n’a dépassé la barre des trente matchs, l’équivalent d’une saison complète… Cette saison dans tout le championnat 19 départs ont déjà été enregistrés. Algérie et Maroc, plus khawa khawa qu’on ne l’imagine ?

Côté égyptien, Al-Ahly, véritable mastodonte continental, incarne ou tente d’incarner un modèle de bonne gestion. L’été dernier, Mohamed Serag El-Din, un des membres de son conseil d'administration décrivait l’entité cairote comme « un modèle pionnier dans l'application des fondements de la gouvernance dans le domaine du sport ». Les résultats semblent lui donner raison, avec un record en Afrique de 10 Ligue des Champions remportées. Mais ce modèle n’est pas la norme au pays des pharaons : ces trois dernières années le rival historique Zamalek devait plus de 1.75 milliard de livres égyptiennes (soit environ un demi-million de dirhams) à différentes entités, dont le gouvernement égyptien et la FIFA. Et du côté des entraineurs, cette saison le championnat égyptien compte autant de départs que l’Algérie.

En Europe d’année en année les championnats anglais, français et italien voient le turnover augmenté chez les entraineurs. Les européens maitriseront-ils bientôt l’art du limogeage au même niveau que nos clubs nationaux ? Le football a-t-il tellement changé ? Changement triste pour certains, nécessaire pour d’autres... le foot est une science en constante évolution, avec des enjeux financiers et politiques toujours plus élevés et une marge d’erreur toujours plus limitée. Pour entraîner aujourd’hui, l’adaptation doit être constante et la valise jamais trop loin du banc.

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