Les premières victoires – 1976, les Rois de l’Afrique - Elbotola

Les premières victoires – 1976, les Rois de l’Afrique

Karim Sefiani
31 janvier 2023à 22:10

‘’Faut voir grand dans la vie, quitte à voyager dans le temps’’ – Retour vers le futur, Dr Brown.

Il y a près de cinquante ans, le Maroc ouvrait son armoire à trophée avec son premier et seul titre majeur à ce jour : une victoire en Coupe d’Afrique des nations, obtenue au terme d’un parcours semé d’embuches dont le Mountakhab sort invaincu.

Les souvenirs d’un Ballon d’or

Ahmed Faras, légende de Mohammedia, leader technique de l’équipe nationale, second joueur le plus capé de la sélection (95) derrière Naybet (115), et plus grand buteur de l’histoire des Lions (36 réalisations), en 2019 quant à l’état d’esprit qui régnait dans le Mountakhab vainqueur : "La CAN 1972 au Cameroun s’était soldée par un échec car nous étions partis à Douala avec de grandes ambitions." Et d’ajouter : "Nous avions également eu à digérer une élimination amère de la Coupe du monde 1974 en RFA. La détermination et la discipline de l’équipe étaient nos principaux atouts." Un cumul de désillusions et de frustrations propre à embraser la motivation des joueurs. Après avoir refusé de participer à l'édition de la CAN 1974 - s’estimant lésé par l’arbitrage africain - et alors qu'ils venaient tout juste de se défaire du Ghana lors des barrages qualificatifs, les Lions atterrissent en Ethiopie, pays de hauts plateaux où il faut avoir les poumons larges et solides.

Des Lions 100% Botola et une touche roumaine

Lorsqu'elle entame la compétition, l’armada marocaine est inconnue au bataillon puisqu’elle n’a participé qu’à une seule CAN - en 1972 au Cameroun - et qu'elle s’était fait sortir dès le premier tour après une prestation mitigée : trois matchs nuls sur le même score de un but partout. Inconnus en Afrique, à l’exception d’Ahmed Faras, Ballon d’or continental en 1975, les Lions s’illustraient en revanche en championnat marocain : Abdelmajid Dolmy était milieu de terrain au Raja, Hamid El Hazzaz évoluait dans les cages du MAS, et tous deux faisaient chavirer les foules… Un groupe de 20 joueurs fut convoqué par le roumain Mărdărescu - "pas là pour la galerie" - arrivé 2 ans plus tôt à la tête de la sélection, qui travaillait de concert avec le colonel Mehdi Belmedjoub, directeur technique national de la FRMF. Et concernant le schéma tactique, Fars se souvient que : ‘’Le 4-3-3 était privilégié, nous devions nous habituer à l’altitude et donc jouer de manière différente. Il fallait gérer nos efforts, quitte à ne pas jouer de manière hyper offensive, et on a surtout joué le contre.’’

Un tournoi insolite

Pour la troisième CAN organisée en Ethiopie après celles de 1962 et 1968, le Maroc était tombé dans un groupe B composé du tenant du titre zaïrois (actuelle RDC), du Soudan et du Nigéria. Pour mémoire à l'époque il n'y avait que huit équipes participantes et elles étaient dispatchées en deux groupes lors du premier tour. Autre étrangeté, les quatre équipes qualifiées à l'issu du premier tour s’affrontaient toutes entre elles, puis le premier des quatre était couronné champion d’Afrique. Dans la ville de Dire Dawa, où se déroulaient les rencontres du groupe B, Faras raconte qu’en plus d’être escorté par des chars (!) toutes les équipes étaient logées dans le même hôtel. Une organisation impensable de nos jours.

L'homme aux 36 buts en sélection se rappelle être tombé gravement malade quelques jours avant le premier match face au Soudan : "J’étais pris de frissons et de maux de tête lors d’un repas. On m’a diagnostiqué une typhoïde. J’étais alité et je n’ai pu consommer que des liquides pendant plusieurs jours.’’ Un incident qui n’aura finalement gêné le buteur marocain que l’espace d’une rencontre, à laquelle il participera malgré tout, en match d’ouverture face au Soudan (2-2). L'attaquant restera également muet lors du match suivant (1-0) face au Zaïre et n'ouvrira son compteur que lors de la victoire (3-1) face au Nigéria. Le gardien Hazzaz dira après ce dernier match : ‘’J’aurai pu moi-même marquer tant on dominait". Avec 5 points (une victoire comptait pour 2 points), le Maroc se qualifie pour le second tour dès sa deuxième participation à la CAN.

Les vertus de la « Mort Imminente »

C’est peut-être en chemin vers la phase finale du tournoi que s'est décidé le destin de l’équipe. En effet, alors que l’avion se dirige vers Addis-Abeba, nichée à 2300 mètres d’altitude, un incendie se déclare. Faras raconte : "Notre avion a pris feu et nous avons dû rebrousser chemin et attendre de nombreuses heures dans la brousse qu’il soit réparé !’" Une expérience de mort imminente qui renforce le moral des troupes, et inspire peut-être cet état d'esprit d'urgence et de dépassement de soi qui est la marque des champions. Car une fois sortis de la brousse, les Lions enchainent deux victoires sur le même score (2-1), face à l’Egypte puis au Nigéria, dans des circonstances étrangement similaires : le Mountakhab arrache la victoire en toute fin de match. A la 88ème par l’intermédiaire de Zahraoui face aux égyptiens, et aux 82ème et 88ème minutes face au Nigéria, grâce à Faras et Guezzar. Tout sauf un hasard.

Fort de ces deux victoires, les Marocains se retrouve à un match du sacre. Un résultat nul face à la Guinée serait suffisant pour décrocher le Graal, mais leur adversaire doit dompter les Lions pour remporter le tournoi.

Le triomphe des survivants

Pour la finale du tournoi, coach Virgil conserve son schéma tactique en 4-3-3. Les titulaires sont : El Hazzaz aux cages, de Glaoua, Chebbak, Faras, Abouali, Baba, Cherif, Mellouk, Semmate, Tazi et Zahraoui. De plus Dolmy et Guezzar rentreront en cours de jeu. En face, la Guinée était composée de joueurs à ne pas prendre à la légère se remémore le capitaine marocain : "C’était un peu le Brésil de l’Afrique avec les Cherif Souleymane, Petit Sorry ou Papa Camara.’’ Ce 14 mars 1976, dans un Stade Addis-Abeba qui affiche complet, les Lions ne débutent pas le match de la meilleure des manières. Ils prennent des coups dans cette première mi-temps, avec un but encaissé dès la 33ème puis l’expulsion du défenseur Abdellah Semmate.

Dominés mais pas défaits, les marocains se battent jusqu’au bout, et comme face à l’Egypte et au Nigéria, ils vont faire preuve d'une résilience et d'une concentration hors normes pour aller chercher le but de la victoire en toute fin de match : à la 88ème (encore!), sur l’un des rares ballons touchés par un Faras esseulé, celui-ci la remet à Ahmed Makrouh et Baba décroche une frappe des 25 mètres qui va se loger au fond de la cage du portier guinéen. L’arbitre siffle la fin du match quelques instants plus tard, et les supporters sont en lévitation! Le Maroc est champion d’Afrique pour la première fois de son histoire. Le DTN feu le colonel Mehdi Belmedjoub aura ces mots gravés dans l'histoire : "Ce fut dur, mais que ce fut beau’’.

Un sacre et puis c'est tout

A leur retour, les champions d’Afrique furent portés en héros et reçus par le prince héritier, SM le Roi Mohammed VI. Les joueurs recevront 10.000 dhs chacun - une somme considérable pour l’époque - et Mărdărescu sera décoré. Faras raconte encore : "Je garde un souvenir très tendre de ces moments de liesse. Aujourd’hui avec le recul je reste reconnaissant à tous ceux qui ont contribué à cette épopée qui a nous a valu le respect et l’amour du peuple marocain…’’. Siir ! Ce sacre reste le seul dont peuvent se targuer les supporters marocains... et la finale de 2004 ou les deux demi-finales successives de 1986 et 1988 passeront toujours au second plan. Car le succès de 1976 a sonné les débuts du Maroc sur la scène footballistique continentale et internationale. Gloire aux anciens !

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